28-04-2021
OASIS URBAINES
Piuarch, WOHA Architects, Richard Bliah Associates, UID architects, Konodesigns,
WOHA , Lorenzo Barassi, Koji Fujii, Hélène Veilleux,

Il est indéniable que son court-métrage serait aujourd’hui considéré avec un tout autre regard et pris beaucoup plus au sérieux car il est d’une grande actualité : en effet, jamais comme ces dernières années, l’homme n’a eu autant besoin de nature. Il semble particulièrement insatisfait du contexte urbain dans lequel il vit et, pour endiguer ce mal-être, beaucoup d’ouvrages littéraires, oscillant entre science et fiction, ainsi que de groupes professionnels focalisant leur activité sur ce problème ont vu le jour. Parmi ceux-ci le Pnat, créé en 2014 comme extension du LINV (laboratoire international de neurobiologie végétale de Florence) cherche à concrétiser les résultats des expériences scientifiques menées par l’institut dans le cadre de ses recherches. Cette équipe qui comprend 2 architectes et 4 botanistes adopte dans son approche conceptuelle les principes du biomimétisme dans le but d’améliorer l’environnement humain en imitant les comportements du règne végétal. J’ai lu il y a quelques jours un article qui parlait justement de l’un des architectes du groupe, Antonio Girardi, et j’ai été séduite par son évocation d’une célèbre légende, celle de l’origine de Rome ayant mené, entre autres, à la naissance de l’urbanisation. Girardi voit dans le fameux outrage de Rémus qui ose sauter par-dessus le mur venant d’être construit par son frère le symbole de la fin d’un environnement naturel confiné au-delà des limites d’un nouveau monde bâti. C’est de cette scission que découlerait selon lui le cloisonnement entre ces deux réalités, une fracture initiale qui aurait donné lieu à une véritable opposition de la part des architectes qui, en violant la symbiose entre les hommes et les plantes, se sont plus servis de ces dernières à des fins ornementales que comme partie intégrante du quotidien des occupants. C’est peut-être pour cette raison que le besoin de végétation urbaine se fait aujourd’hui si cruellement sentir.
Le professeur et directeur du LINV Stefano Mancuso, l’un des fondateurs du Pnat, s’est spécialisé dans une branche de la botanique étudiant la mémoire, l’apprentissage, la capacité de communication des plantes et leur potentielle vie sociale. Il a constaté dans ses recherches que malgré l’absence de nerfs et de de cerveau chez les plantes, contrairement aux animaux, les végétaux étaient capables durant leur évolution d’une certaine sensibilité, d’une véritable sociabilité et d’une « capacité de résolution des problèmes » se posant progressivement à eux ; autant de comportements qui, par définition, correspondent à de l’intelligence. D’après les expériences réalisées, les végétaux seraient en mesure de « sentir », d’« entendre » et de « communiquer » entre individus de la même espèce, voire même parfois d’autres espèces, ainsi que « d’apprendre » en utilisant une certaine forme de mémoire leur permettant de mieux résister aux insectes prédateurs et herbivores. Si, par conséquent, comme nous le suggère cet expert que le New Yorker a classé en 2013 parmi les « World Changers » - les personnes œuvrant à changer le monde - nous nous décidions à être plus à l’écoute du règne végétal et des autres formes de vie auxquelles nous sommes intrinsèquement liés, nous pourrions sans doute trouver un plus grand équilibre avec ce partenaire qui nous fait tant défaut.
Beaucoup d’architectes s’efforcent de créer des environnements urbains alternatifs à même de garantir une interaction entre le naturel et l’artificiel. Je serais particulièrement ravie si les clients prenaient l’initiative d’opter pour l’une des nombreuses solutions disponibles pour aménager un coin de verdure sur un toit, un balcon ou dans une villa ou un bureau. Les multiples configurations des jardins et des potagers, allant des formes les plus géométriques à l’exubérance d’une croissance en toute liberté, ne doit pas seulement se limiter à améliorer la qualité de l’air mais aussi répondre à un besoin personnel, à un impératif aussi simple que fondamental. Se sentir bien et passer de beaux moments d’insouciance devient possible grâce à de petits havres de verdure à vivre seul ou en compagnie de ses amis, à de petits lopins de terre ou à de mini oasis fleuries nécessitant soin et attention.
Urban Rooftop Farm, WOHA. Foto Cortesia di WOHA.
Dans les lieux de travail également - y compris ceux de nombreux architectes, on utilise désormais avec toujours plus d’enthousiasme tous les espaces à disposition pour alléger les tâches professionnelles en permettant de faire des pauses régénérantes et vivre des moments de convivialité. Woha, une agence de Singapour s’attelant depuis toujours avec passion et acharnement à prôner des systèmes de climatisation naturelle au lieu des appareils - un défi particulièrement difficile à faire accepter dans un pays au climat tropical - a décidé de transformer la toiture de son siège de plusieurs étages en ferme-potager en lieu et place des compresseurs des climatiseurs. Entouré de grands bâtiments, de hautes façades végétalisées, de mégastructures aux toits ponctués de jardins et de parcs, de vastes complexes plongés au cœur de paysages ayant pour vocation de devenir de véritables écosystèmes, cette minuscule ferme-potager urbaine de 195 m² n’a rien à envier aux autres édifices. Rigoureusement bio, elle compte plus de 100 espèces de fruits et légumes. Soucieuse des moindres détails, elle comprend également un système d’aquaponie, un dispositif de culture cyclique idéal qui combine fertilisation, filtration et circulation d’eau en circuit fermé fonctionnant grâce à un plan d’eau accueillant des tilapias et assurant la symbiose de l’ensemble. La végétation pousse un peu partout avec luxuriance tandis qu’ici et là des sièges permettent à tous ceux qui montent sur le toit de se relaxer un moment en admirant le panorama des autres toits au milieu de roquettes, de piments rouges, de bananes, de fruits de la passion, de grenades, de citrons verts, de basilic, de menthe et d’herbes aromatiques. Dans un entretien, Wong Mun Summ et Richard Hassell ont tenus à souligner non seulement les très grands avantages assurés par la biophilie qui permet d’intégrer, comme ici, des éléments naturels dans les bâtiments et ainsi d’améliorer la qualité de l’air grâce à des écosystèmes, de réguler la température et de contribuer à une écologie urbaine mais aussi la passion avec laquelle nombre d’« agriculteurs » du personnel se sont impliqués dans la culture de ce petit jardin des délices. Tout a poussé sans aucun pesticide et le couple est fier d’affirmer que les oiseaux ont aidé au fur à mesure à endiguer les dégâts causés par les insectes.
Urban Rooftop Farm, WOHA. Foto Cortesia di WOHA
Bien sûr, la production ne suffit pas à satisfaire les besoins quotidiens du personnel mais les employés peuvent la savourer lors d’évènements particuliers et ainsi éprouver la satisfaction de manger ce qu’ils ont un peu cultivé tous ensemble. On a noté à propos des deux fondateurs de Woha un aspect que je considère très juste, à savoir que l’on remarque toujours une particularité dans leurs travaux résolument d’avant-garde allant de la macro-architecture au micro-urbanisme : une tendance à promouvoir la normalisation de concepts qui pourraient à première vue sembler radicaux, comme cette toiture à ciel ouvert convertie en potager mais qui, en fin de compte, apparaissent comme une évidence.
‘Orto tra i cortili’, Piuarch. Foto Cortesia di Piuarch.
Il y a quelques années, lors d’un Fuorisalone à Milan, j’avais été marquée par la romantique simplicité d’un projet vraiment unique, l’un des premiers que l’on pouvait découvrir sur les toits de la ville. En plein cœur du quartier de Brera, on trouvait tout en haut d’une ancienne maison entourée de hauts bâtiments une plateforme de 300 m² émaillée de vieilles palettes en bois décolorées d’où jaillissaient, ici et là, des tournesols au milieu de tomates, de fleurs des champs et de plantes aromatiques. Baptisé l’ « Orto tra i cortili » (Le potager au milieu des cours), cette installation conçue pour être permanente prévoyait également la production d’herbes médicinales. Elle avait été réalisée, en collaboration avec le paysagiste Cornelius Gavril, par le cabinet d’architecture Piuarch ayant justement ses bureaux dans la maison. Ayant vocation à devenir un modèle à imiter, l’installation basée sur un système modulaire économique et facile à reproduire à grande échelle visait à sensibiliser à des sujets qui, à l’époque, n’étaient pas autant d’actualité qu’aujourd’hui : l’importance de la rénovation énergétique des bâtiments et de la reconversion des surfaces urbaines non utilisées afin de favoriser la protection de la biodiversité, la sociabilité et le co-travail.
Dental Clinic Loop, UID Architects. Foto di Koji Fujii/Cortesia di UID Architects.

Pasona 02, Konodesign/ Foto di Hélène Veilleux/flickrCC.
Pour passer à un ouvrage à plus grande échelle, je voudrais aborder l’intervention réalisée en 2010 pour le siège d’une agence de recrutement japonaise : la transformation d’une structure bâtie il y a environ 50 ans en plein cœur de Tokyo en bureaux écologiques et en véritable ferme urbaine. Au vu de la situation d’extrême dépendance alimentaire du Japon vis-à-vis des autres pays en raison du manque de terres arables, cette entreprise - Pasona - a décidé de consacrer presque 4 000 m2 des neufs étages de son immeuble à la culture de 200 espèces de fruits, légumes et riz. Le groupe a pour philosophie de limiter le déclin de l’agriculture japonaise en encourageant et en formant les prochaines générations potentielles d’agriculteurs dans le cadre de programmes prévoyant des séminaires publics, des conférences et des aides aux étudiants, ceci dans la perspective de promouvoir des opportunités économiques et des systèmes agricoles plus durables. À cette fin, l’entreprise a imaginé un système de production basé sur des installations d’hydroponie se répartissant entre espaces de travail et zones exclusivement réservées à la culture dans une perspective de production en circuit court : épaulés par des spécialistes du secteur, de nombreux salariés participent ainsi à la culture et à la récolte des produits ensuite préparés sur place. Consommés à la cafétéria ou à la cantine de l’entreprise, ils répondent aux besoins alimentaires du personnel : un parfait exemple d’aliments « du champ à la table » visant à encourager une distribution alimentaire permettant d’éviter à la fois les gaspillages d’énergie et de transport. Mais le but du projet ne s’arrête pas là, il s’est aussi fixé deux ambitions de taille : améliorer l’environnement professionnel en garantissant des conditions de travail plus saines et promouvoir un véritable esprit d’équipe.

Pasona 02, Konodesign/ Foto di Hélène Veilleux/flickrCC.
Esthétiquement, l’espace est très séduisant. En effet, nous aimerions tous pouvoir travailler dans une entreprise où les salles de séminaires et de réunion accueillent, ici et là, des feuilles de salade, nous asseoir à l’une des tables entourées de citronniers et de grenadilles ou en dessous des touches de couleur des tomates et des courgettes perçant les vrilles et les feuillages. Comme on le sait, les plantes améliorent la qualité de l’air que nous respirons et leur abondance permet de réduire le dioxyde de carbone. Un système de régulation climatique intelligent permet une croissance optimale de la récolte tout en assurant le confort lors des heures de bureau. L’auteur de ce grand projet, Yoshimi Kono du cabinet Kono Designs, a également conçu une façade végétalisée foisonnant de fleurs de saison et complétée par des orangers plantés sur les balcons. Toujours dans son quartier général, Pasona a inauguré en 2017 un ranch urbain afin d’éviter qu’en raison du dépeuplement des zones rurales et de l’afflux des jeunes vers les villes, les enfants ne perdent leur lien étroit avec les animaux de la ferme. Environ 60 animaux de 8 espèces - vaches, chèvres, flamants roses, hiboux et même un alpaga - vivent ainsi dans ce ranch transformé en véritable point de rencontre. La sélection des animaux a répondu à des critères pédagogiques visant principalement à sensibiliser à l’importance d’une bonne alimentation pour la santé.

Pasona, Otemachi Ranch, Richard Bliah Associates/Foto Cortesia di Lorenzo Barassi.
Il est nécessaire de faire comprendre aux enfants en bas âge que ce que nous mangeons peut avoir des effets négatifs ou positifs. Dans la mesure où c’est leur nourriture - des crevettes rouges et du plancton - qui leur donne une couleur rose, les flamants roses ont ainsi été choisis pour illustrer cet aspect. Quant aux vaches et aux chèvres, elles permettent de montrer concrètement comment l’on fabrique de la glace et du beurre dans l’objectif de redynamiser à l’avenir une filière laitière qui risque de disparaître. Baptisé « Otemachi Ranch » , le projet a été réalisé par le cabinet d’architecture Richard Bliah Associates.
Virginia Cucchi
Credits :
02-06: Urban Rooftop Farm, WOHA, Foto Cortesia di WOHA
07-08: ‘‘Orto tra i cortili’, Piuarch. Foto Cortesia di Piuarch/archiviFN/GreenCityMilano
Cover, 09-16: Pasona, Otemachi Ranch, Richard Bliah Associates/Foto Cortesia di Lorenzo Barassi
17-22: Pasona 02, Konodesign/ Foto di Hélène Veilleux/flickrCC.
23-26: Dental Clinic Loop, UID Architects. Foto di Koji Fujii/Cortesia di UID Architects.