Bak Gordon signe la Maison de rua Costa do Castelo à Lisbonne

Figure de proue de la génération d’architectes portugais ayant perpétué le courant né avec Àlvaro Siza et développé par Eduardo Souto de Moura, Ricardo Bak Gordon s’impose aujourd’hui comme l’un des architectes les plus notables du Portugal. Parmi ses grands mérites, on peut souligner qu’il est parvenu à faire fusionner les principes de la culture vernaculaire et la richesse du monde latin dans une architecture mettant en exergue les gestes quotidiens de l’habitat. Projet débuté dès 2013 et achevé en 2019
, la maison de rua Costa do Castelo à Lisbonne illustre parfaitement son cheminement vers l’élaboration d’une philosophie des espaces et des relations. Comme son nom l’indique, la rue de l’habitation se trouve en contrebas de la plus grande colline du centre historique, celle sur laquelle se dressent les vestiges duchâteau de Saint-Georges qui domine Lisbonne. Les immeubles résidentiels donnant sur cette rue forment un rideau de bâtiments de 4 ou 5 étages qui s’élèvent progressivement pour pallier la pente à l’endroit où se trouvent généralement les arrière-cours ou les jardins. Ainsi, pour des questions de relief, l’ouvrage signé par Bak Gordon comporte, dans la plus pure tradition des immeubles résidentiels de Lisbonne, des pièces superposées et tournées vers la rue aux quatre premiers étages. Au dernier étage, cette disposition change radicalement pour se transformer en ce que Federico Tranfa qualifierait de « villa urbaine » . Cette astuce permet de réunir deux catégories de bâtiments en juxtaposant deux types de logements distincts, un élément qui apporte une grande valeur ajoutée au vécu quotidien.
Les premiers étages accueillent une vie citadine, introspective et privée. Le rez-de-chaussée, doté à la fois d’un accès pour les piétons et pour les véhicules, sert de garage pour les voitures et les motos. Le sol en pierres prolonge la chaussée, transformant ainsi idéalement cet espace de la maison qui s’ouvre tout en restant isolé de la rue comme une partie intégrante de cette dernière. En montant, on trouve d’abord une grande pièce faisant office de bureau et de bibliothèque puis la zone de couchage sur deux étages. Toutes ces pièces sont orientées dans une seule direction, la rua Costa do Castelo, tandis que les cages d’escalier et l’ascenseur ont été aménagés de l’autre côté, adossé à la colline. Le net changement du type de logement ne se manifeste qu’au dernier étage qui comprend trois pièces à vivre communicantes, une cuisine, une salle à manger et un séjour. Dans la mesure où l’espace couvert se réduit au profit d’un jardin, la façade est ici en retrait par rapport aux autres. Avec ses grandes fenêtres et ses perspectives internes, la maison constitue le prolongement de la végétation qui s’étend au-delà jusqu’à la côte en contrebas du château. Une structure en C en béton armé apparent y accueille une piscine tout en dotant ainsi la maison d’une perspective supplémentaire sur le paysage naturel. Alors que l’architecte semble avoir épuisé les potentialités du site, la forme particulière du terrain lui permet de profiter des zones les plus inaccessibles et les moins utilisées pour donner naissance à un passage quasiment secret qui mène d’abord à la plateforme-belvédère sur la piscine puis à une dernière terrasse juste au-dessous des murs de soutènement du parc du château.
Ricardo Bak Gordon met ainsi en valeur un point de vue occasionnel pour tout un chacun, à savoir la perspective des visiteurs depuis le château Saint-Georges et son belvédère. Les propriétaires de la maison peuvent quant à eux contempler tous les jours le cours du Tage au sud et le centre historique ainsi que la place Rossio à l’ouest. L’observation du projet en coupe met en évidence, notamment en termes schématiques, la très grande intimité des étages donnant sur la rue par rapport au caractère extroverti de l’étage le plus élevé qui, en toute logique, accueille quant à lui les espaces les plus conviviaux. Concernant les finitions, Bak Gordon a laissé apparent le béton armé de la structure dans les intrados de couverture, dans l’escalier, dans la cheminée et partout sur le sol, créant ainsi un contraste avec la blancheur des murs crépis et le mobilier ancien ou en bois clair.
Considéré dans sa globalité, le projet semble presque renier sa relation avec la rue : dépourvu de balcon, le bâtiment ne dispose en effet que de quelques ouvertures. Le dialogue avec la ville se joue entièrement au dernier étage où l’intimité et le partage se rencontrent et où la maison prend toute sa valeur de composante à part entière du paysage.
La sobriété d’ensemble des ouvrages constitue l’un des éléments stylistiques les plus saillants du travail de cet architecte qui, dans la mesure où il ne vise jamais l’auto-référence mais uniquement la compréhension et l’enracinement profond dans l’âme du lieu, parvient à saisir tout le potentiel des sites à disposition pour en tirer le meilleur parti possible.

Mara Corradi

Architects: Ricardo Bak Gordon
Collaboration: Ana Carolina Campos, Gonçalo Frias, José Pedro Cano, Luís Pedro Pinto, Nuno Costa, Pedro Pedro
Site location: Rua da Costa do Castelo, Lisboa
Client: Private
Contractor: Manuel Mateus Frazão Lda
Consultants: F&C (Landscape architecture), Betar (Foundations, Structures and Geological Survey), prom&E Consulting (Electrics, Telecommunications, Security, Acoustics and Mechanics), Campo d’ Água (Hydraulics)
Areas: 465 sqm construction area
Project: 2013-15
Works completion: 2019
Photography: © Francisco Nogueira

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